Il ne faut jamais empêcher les artistes d'accomplir ce qu'ils ont dans la tête. C’était ce que j'ai pensé le soir en regardant John Goudie Lynch découper une panse de brebis farcie - haggis, disent les Ecossais. Accroché au mur derrière lui, un homme nu planait au dessus de la campagne. L'un des tableaux de John, incroyablement précis dans le trait et évocateur dans l'expression - j'entendais le vent siffler dans les oreilles de l'homme-volant.
D'un trait de couteau, il avait fendu la peau blanche et tendue, et la panse s'est ouverte sur une farce dorée et fumante. Nous étions assis autour de la table, immobilisés dans une attente familière - " manger!" - et légèrement goguenarde - " il y a quoi, là-dedans? " J'ai vérifié qu'à gauche de mon assiette il y avait bien une fourchette
et non une brosse à dents.
La qualité du haggis tient à ce qui farcit la panse et à l'humeur des convives. Bref, à ce qu'il y a à l'intérieur de celui qui mange et de ce qui est mangé. La peinture de John Goudie Lynch, qu'il m'excuse de cette comparaison, procède de cet esprit.
Ses personnages ont des visages nus et singuliers ; ils sont nos masques et notre miroir. Ils sont immobilisés dans une action absurde, et pourtant familière : ce qu'ils vivent, nous avons l'impression de l'avoir vécu, éveillé ou en rêve. John Goudie Lynch propose son monde, celui qu'il a dans la tête. Son talent est d'en faire le nôtre. La farce du haggis était excellente, merci.